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Les aventures de Roldaïce sur Mirrodin


La lumière tombée du ciel

Plaine
“ Plaine ”
par John Avon © Wizards of the Coast

Tout a commencé par une belle journée d’été, alors que je descendais tranquillement des montagnes de Kurod, chevauchant mon lézard. Je venais de terminer un petit voyage durant lequel j’avais rendu visite aux différents villages gobelins et humains se trouvant sur mon territoire et sous ma protection. Alors que ma monture descendait agilement le chemin escarpé, je contemplais avec émerveillement les plaines s’étendant devant moi à perte de vue sous le soleil de midi, les blés dorés ondulant sous la brise en une danse aléatoire et apaisante. Bientôt, humains et gobelins viendraient moissonner ces champs ensemble, enfin amis après des siècles de conflits. J’étais heureux d’avoir réussi à créer ce havre de paix après l’Apocalypse, et d’être parvenu à le protéger d’éventuels agresseurs depuis ce temps lointain. Bien sûr, les choses s’étaient un peu gâtées quand j’avais passé un an en Otaria à affronter les effets du maléfique Mirari, mais cela remontait à de nombreuses années, et tout était à présent rentré dans l’ordre. Après ces aventures, je m’étais juré de ne jamais plus m’éloigner de mon territoire en laissant mon peuple livré à lui même… Mais je devais apprendre une nouvelle fois que le destin tient rarement compte des décisions des mortels, fussent-ils sorciers.
Tandis que j’admirais les plaines, mon château se découpant sur l’horizon, j’éprouvai un mauvais pressentiment en détectant une soudaine surcharge d’énergie magique dans l’atmosphère. Curieusement, ce n’était pas le mana rouge ou blanc émanant naturellement des montagnes ou des plaines où je me trouvais, ni le mana d’une autre couleur qui aurait pu trahir l’attaque d’un quelconque ennemi, mais un mana incolore, caractéristique de la plupart des artefacts. Je fis faire halte à mon lézard et me concentrai pour tenter d’identifier la source de cette énergie. C’est à cet instant précis qu’un trait de lumière éblouissant tomba du ciel sur la plus haute tour de mon château, de façon parfaitement rectiligne. Ce phénomène mit fin à la surcharge de mana incolore, bien qu’il m’ait fallu quelques secondes pour le réaliser. Bien décidé à savoir qui s’amusait à attaquer ma tour, je jetai aussitôt un éphémère de rapidité à mon lézard et le lançai à toute allure la piste rocheuse.
Arrivé à environ une demi-lieue du château après une chevauchée effrénée à travers champs, je me concentrai à nouveau pour détecter l’ennemi, mais fus fort surpris de ne déceler aucune présence magique, si ce n’est celle de mes apprentis Glok et Delana. Une fois dans la cour, je constatai que mes gardes n’étaient pas en état d’alerte, mais au contraire plongés dans des discussions animées au sujet de ce qui venait de se produire. En me voyant arriver, ils reprirent bien vite contenance et me saluèrent.
« Avez-vous vu qui nous a attaqué ? » demandai-je à Belen, le capitaine des gardes, tout en sautant à bas de mon lézard exténué.
« Non, Messire Roldaïce, me répondit l’humain tandis que je confiais ma monture à un gobelin. À vrai dire… Nous avons juste vu une lumière, puis Glok nous a dit que quelque chose avait frappé la tour.
– Bien, merci Capitaine. Restez tout de même vigilants ! » lançai-je avec sarcasme avant de pénétrer dans le hall.
Je trouvai mes deux apprentis devant la lourde porte de mon laboratoire de magie, visiblement fort perplexes.
« Maître Roldaïce ! » s’écrièrent en chœur le gobelin et la jeune humaine, certainement contents de me revoir mais surtout soulagés que quelqu’un vienne les libérer du problème. S’ensuivit un déluge d’explications plus ou moins confuses et contradictoires, grâce auxquelles je pus comprendre que depuis l’éclair, la porte du labo refusait catégoriquement de s’ouvrir.
« Eh bien, voyons ça ! » dis-je en abaissant la poignée… À la grande stupeur de mes apprentis, la porte commença à pivoter facilement sur ses gonds. Prêt à faire face à la menace qui pourrait se trouver dans mon laboratoire, je finis d’ouvrir la porte d’un mouvement rapide… et ce fut à mon tour d’être frappé de stupeur, bien plus que si un Phyrexian s’était tenu face à moi.
Tout ce que contenait la vaste salle circulaire se trouvait à présent entassé pêle-mêle contre les murs : grimoires et parchemins balayés comme de vulgaires détritus, fioles de potions brisées, précieux artefacts écrasés sous les débris de tables et d’étagères fracassées. Et au centre exact de la pièce, comme placé avec une précision mathématique, trônait seul sur le sol de pierre nue un objet métallique sphérique, pas plus grand qu’une tête de gobelin. Juste à la verticale de l’objet, le toit de la tour avait été transpercé et laissait passer un rayon de lumière solaire, illuminant la surface irrégulière de l’artefact argenté dans le demi-jour du laboratoire.


Un étrange puzzle

Sphère du commandant
“ Sphère du commandant ”
par Ryan Alexander Lee © Wizards of the Coast

J’aurais dû être fou de rage de voir mon cher laboratoire ainsi saccagé, mais la curiosité l’emporta sur la colère. Sous les regards curieux et méfiants de mes deux apprentis prudemment restés sur le pas de la porte, je m’approchai de l’artefact, duquel émanait une puissante aura magique. Après plusieurs tests, je décidai qu’il ne recelait aucun piège, et le ramassai. Une empreinte mentale traversa alors très fugitivement mon esprit, et je fus certain d’avoir connu son propriétaire il y a bien longtemps, sans toutefois pouvoir me souvenir précisément de qui il s’agissait.
« Ça va, Maître ? s’enquit Delana en s’approchant de moi avec son camarade Glok.
– Oui, oui, répondis-je distraitement. Malgré sa façon plutôt sans-gêne d’entrer chez les gens, cet artefact ne semble pas maléfique.
– Tu vois, lança Glok à Delana, je te l’avais bien dit qu’il n’y avait pas de danger, espèce de trouillarde !
– Alors ça ! répliqua la jeune fille d’un air outré. C’est toi qui étais terrorisé !
– Du calme vous deux, les interrompis-je. J’ai dit qu’il n’était pas maléfique, pas qu’il était sans danger... »
Ma répartie eut effectivement l’air de les calmer.
« On dirait une sorte de puzzle en trois dimensions, un genre de casse-tête, dis-je en faisant tourner l’objet dans mes mains. Je crois que je risque d’en avoir pour un moment avant d’en percer le secret.
– Nous pourrions peut-être vous aider », me proposa Delana, les yeux emplis d’espoir.
« Mais non, ne dis pas de bêtises, l’interrompit Glok. Laissons plutôt travailler le Maître », ajouta-t-il vivement sur un ton d’une humilité inhabituelle, tout en reculant vers la porte.
« Bien tenté mon cher Glok, répondis-je, mais on n’apprend pas à un vieux gobelin à faire le malin. Sur ce, je vous laisse ranger le labo.
– Mais… les meubles sont tous brisés ! répliqua Delana, visiblement déçue d’être affectée à cette tâche fastidieuse plutôt que de participer à la résolution du mystère de la sphère.
« Et alors ? C’est l’occasion idéale de vous exercer au sort mineur de réparation ! »
Sur ce, je partis pour mes appartements avec la sphère et abandonnai mes apprentis dépités au milieu de la pièce dévastée.

Forêt de Mirrodin
“ Forêt de Mirrodin ”
par John Avon © Wizards of the Coast

Toute l’après-midi et une grande partie de la nuit, j’examinai le mystérieux objet, cherchant à comprendre à quoi il pouvait bien servir, tout en me demandant pourquoi et comment il avait atterri chez moi. J’étais fatigué de mon voyage, mais ce mystère me tenait en éveil plus efficacement qu’une décoction d’herbe-à-dragon ! L’artefact d’argent pur était constitué d’un assemblage extrêmement complexe de pièces aux formes extravagantes, articulées entre elles par un mécanisme indétectable. J’ignorais quelle était sa fonction, mais une chose était sûre : cet objet était l’œuvre d’un artificier de génie. Lorsque j’eus vainement épuisé tout mon mana en sorts divinatoires sur l’objet, je sentis le sommeil gagner du terrain et me résignai à abandonner momentanément ma recherche pour aller me coucher, contrarié d’être tenu en échec. Une fois au lit, je continuai à jouer machinalement avec l’artefact-puzzle en attendant de m’endormir. Et, ironie du sort, c’est alors que je ne cherchais plus vraiment à résoudre l’énigme que j’y parvins enfin… Sans y prêter attention, j’avais tourné les pièces d’une certaine façon, et un « clic » se fit entendre. Avant même que je ne réalise ce qui se passait, la sphère émit un violent flash de lumière blanche, et j’eus l’impression de recevoir un terrible coup sur le crâne.
Le choc fut encore plus grand lorsque je rouvris les yeux : je n’étais plus dans mon lit, mais sur un sol métallique et verdâtre ressemblant à du cuivre oxydé. Un peu plus loin se dressaient de gigantesques arbres aux formes curieusement déchiquetées. La sphère était toujours dans mes mains, mais avait apparemment repris sa conformation initiale.
« Ca y est, ça recommence… » marmonnai-je en me relevant.
J’examinai plus attentivement mon environnement pour tenter de déterminer dans quelle région de Dominaria j’avais été téléporté. Je me trouvais dans une sorte de clairière métallique déserte et étonnamment circulaire, d’un diamètre d’environ deux cents pieds. Il faisait jour, mais la lumière était elle aussi inhabituelle, comme teintée de reflets rouges et bleus. Quel était donc cet endroit insensé ? M’éloignant lentement du centre de la clairière de cuivre, je m’approchai de l’orée de la forêt tout en tentant de discerner quelque chose sous le couvert des arbres. Et soudain, je fus frappé de stupeur. Les yeux écarquillés et la mâchoire pendante, je réalisai avec effroi et émerveillement que j’étais entouré de grandes structures métalliques, imitant de manière presque parfaite de vrais arbres…


Arrestation

Élu de Tel-Jilad
“ Élu de Tel-Jilad ”
par Matthew D. Wilson © Wizards of the Coast

J’étais bien incapable de déterminer si ces arbres avaient été fondus et sculptés comme de colossales statues, ou si une forêt vivante avait été changée en métal par une magie d’une puissance inconcevable. Une voix masculine au ton impérieux retentit soudain non loin de moi, me lançant un ordre dans une langue inconnue et m’arrachant à ma contemplation. Instinctivement, je me préparai à canaliser mon mana pour me défendre d’une éventuelle agression, mais curieusement, je ne ressentis rien. J’attribuai ce vide à ma fatigue et au fait que j’avais épuisé tout mon mana en expériences sur la sphère. La sphère ! Elle était probablement ma seule chance de rentrer chez moi, et je n’avais aucun moyen de la dissimuler… J’étais exilé dans une incroyable forêt de métal, en pagne, épuisé, et sans la moindre étincelle de mana. Bref, ma situation n’était guère brillante.
Quand mon mystérieux interlocuteur pénétra dans la clairière, il s’arrêta net, apparemment interloqué de me voir plus distinctement. C’était un elfe à la peau verte, équipé d’un solide plastron d’armure, de gantelets et de jambières de métal noir, et d’une épée longue. Étant moi-même désarmé et sans mana, mes chances de m’évader étaient minces, et de survivre dans une forêt de métal encore plus. Je décidai donc de me rendre et mis les bras sur ma tête en un signe que j’espérai universel. Une fois revenu de sa surprise, l’elfe s’approcha de moi prudemment et me fit signe d’avancer avec la pointe de son épée. Ce fut à mon tour d’être étonné. Il ne portait pas de gantelets ni de jambières : ses bras et ses jambes eux-mêmes étaient constitués de métal !
Tandis que nous parcourions l’étrange forêt, je vis des animaux avec des cornes, des pattes ou des écailles métalliques. Était-ce le lot de tous les êtres vivants de cet endroit ? Dans ce cas, c’était sûrement l’absence de métal sur mon propre corps qui avait tant étonné l’elfe… Notre destination était un arbre immense, lui aussi métallique mais différent de ses voisins. Nous croisâmes d’autres elfes, qui furent tous très surpris en me voyant et posèrent de nombreuses questions à celui qui m’avait capturé. Je fus finalement jeté dans une petite cellule, après que la sphère m’eut été confisquée. Inutile de s’inquiéter quand on ne peut rien faire, pensai-je. Demain sera un autre jour, et j’aurai récupéré mon mana… Du moins le croyais-je.

Trolls de Tel-Jilad
“ Trolls de Tel-Jilad ”
par Marcelo Vignali © Wizards of the Coast

Je dormis quelques heures avant d’être réveillé par le bruit de la porte de ma cellule. Deux gardes elfes me conduisirent sans ménagement à travers un dédale d’escaliers, jusqu’à une pièce bien gardée où se tenaient six trolls curieusement déformés, eux aussi dotés de parties métalliques. Mon entrée suscita une vive agitation parmi eux, et tous m’observaient avec un air curieux. L’elfe qui m’avait capturé était là également, répondant aux questions des trolls. J’étais très inquiet, car mon mana n’était pas revenu, chose qui ne m’était jamais arrivée depuis que mon maître Zurluk m’avait initié aux arts magiques, une quinzaine de siècles auparavant. Je percevais bien une énergie magique environnante, mais elle était subtilement différente et j’étais incapable de la capter. L’un des trolls exhiba la sphère d’argent et me posa une question à laquelle je ne compris pas un traître mot.
« Désolé, mais je ne parle pas votre langue », répondis-je d’un air calme et respectueux afin de manifester ma bonne volonté. Après un moment de réflexion, le troll ferma les yeux et marmonna un sort. Puis il tendit la main vers moi et je sentis une aura magique pénétrer mon esprit.
« À présent, tu connais la langue de Mirrodin, étranger, m’annonça le troll. Qui es-tu, d’où viens-tu et que faisais-tu sur le Radix avec cet objet ?
– Merci à vous, Messire troll. Mon nom est Roldaïce, sorcier gobelin de Dominaria », dis-je en me penchant en avant pour les saluer.
Puis je leur fis le récit des événements qui m’avaient mené jusqu’à eux, sans mentir ni dissimuler quoi que ce soit. Je n’avais rien à cacher, et j’ai toujours préféré parler avec les accents de la vérité. Quand j’eus fini, les trolls s’entre-regardèrent en silence. C’était apparemment leur tour d’être mal à l’aise !
« Nous devons parler », déclara le troll qui m’avait lancé le sort, plus à l’intention des gardes elfes qu’à la mienne. « Feryl, prends soin de notre hôte. »
L’elfe qui m’avait fait prisonnier salua alors le troll, et me fit sortir de la salle du Conseil. Il me conduisit à une petite salle à manger bien plus agréable que ma cellule, avec une fenêtre donnant sur les hauteurs de l’étrange forêt. Après avoir refermé la porte, mon garde me fit asseoir devant une assiette de gros fruits verts légèrement lumineux, puis s’assit face à moi en me regardant d’un air perplexe. Je le remerciai et mordis dans un fruit, qui se révéla délicieux malgré son aspect bizarre. Tandis que je mangeais, je devinai que l’attitude des trolls à mon égard avait réduit la méfiance que mon corps sans métal inspirait à l’elfe, laissant le champ libre à sa curiosité.
« Normalement, il est interdit de parler aux prisonniers, mais… commença-t-il avec un air de conspirateur. Vous venez vraiment d’un monde sans métal ?
– Mmm, pas exactement », répondis-je en finissant ma bouchée de fruit.
Je passai alors un long moment à lui parler de mon monde, après quoi il ne put résister à l’envie de me parler du sien. J’appris donc que je me trouvais à Tel-Jilad, l’Arbre des Récits, au beau milieu de la Filandre, la grande forêt de Mirrodin. Quant à mon gardien, il se nommait Feryl. C’était un élu de Tel-Jilad, chargé de garder l’Arbre, honneur suprême pour un guerrier elfe.


Verdict

Arbre des Récits
“ Arbre des Récits ”
par John Avon © Wizards of the Coast

Une fois mon repas avalé et notre discussion terminée, je me sentis un peu plus à mon aise dans ce monde de métal, et commençai à éprouver une certaine sympathie pour Feryl, sentiment apparemment réciproque. L’elfe m’annonça qu’il pouvait me faire visiter Tel-Jilad si je le désirais, proposition que j’acceptai avec joie. Nous passâmes donc le reste de la journée à arpenter couloirs, salles, escaliers et terrasses de l’incroyable labyrinthe. J’acquis bien vite la conviction de me trouver non pas dans un arbre naturel (en admettant que le reste de la forêt le soit), mais dans un édifice ingénieusement construit pour y ressembler. Partout, mon passage suscita chez les elfes un mélange d’intense curiosité et de peur superstitieuse : non pas parce que j’étais un gobelin, mais parce que mon corps était dépourvu de métal.
Le soir venu, on fit savoir à Feryl que j’étais convoqué en salle du Conseil. Mon gardien et nouvel ami m’y accompagna, mais nous fûmes tous deux fort étonnés lorsque les gardes lui en interdirent l’entrée, ne laissant passer que moi. La vaste salle cuivrée, bien éclairée lors de mon entrevue du matin, était à présent plongée dans la pénombre. D’un bassin émanait une pâle lueur verte, éclairant faiblement le troll assis au bord de l’eau.
« Entre, Roldaïce de Dominaria », dit-il sans lever les yeux du bassin.
Je reconnus celui qui m’avait parlé quelques heures plus tôt et m’avait lancé le sort de langage. J’avançai jusqu’au bassin et croisai son regard à la surface de l’eau miroitante. Je gardai le silence, attendant qu’il s’adresse de nouveau à moi. Au bout d’un moment, il s’arracha à la contemplation du bassin et me fixa d’un air impassible.
« En d’autres temps, nous t’aurions éliminé dès ton arrivée. Mais après ce qui s’est passé, il nous est apparu que ta venue n’était peut-être pas le fruit du hasard. Mes frères et moi avons donc beaucoup parlé de toi, puis longuement médité pour interroger les esprits à ton sujet », annonça-t-il d’un ton neutre.
Il garda ensuite le silence, et je soutins son regard perçant en faisant de mon mieux pour cacher ma tension.
« Et… ? demandai-je finalement pour rompre ce silence pesant.
– Les esprits nous ont révélé que tu avais un rôle à jouer sur Mirrodin, et qu’il était de notre devoir de t’aider.
– Eh bien, répondis-je soulagé, je suis très heureux que cela me vaille la vie sauve ! Cela dit, je me demande bien quel rôle je pourrais jouer sur un monde dont j’ignore tout. »
Et sur lequel je n’ai aucun pouvoir magique, ajoutai-je intérieurement.
« Peut-être est-ce justement le fait que tu ne sois pas d’ici qui est important. Mais assieds-toi et écoute-moi. Il est des choses que tu dois savoir. »

Glissa Cherchesoleil
“ Glissa Cherchesoleil ”
par Brom © Wizards of the Coast

J’obéis, et écoutai attentivement le long récit du troll, car je savais que ma survie et mon éventuel retour au pays passaient par une coopération complète avec lui. Mon interlocuteur s’appelait Drouk, et venait de devenir grand-prêtre de Tel-Jilad à la suite d’événements récents liés à l’histoire d’une jeune chasseuse elfe nommée Glissa. Drouk m’expliqua que les elfes de la Filandre vivaient depuis toujours sous la tutelle spirituelle des trolls de Tel-Jilad. Une fois par siècle, les quatre soleils de Mirrodin s’alignent, chacun d’entre eux se plaçant à la verticale d’une région donnée, à l’exception de la Filandre, dépourvue de soleil. À cette occasion, les trolls organisent sur le Radix (la clairière où la sphère m’avait téléporté) la cérémonie de la Réprimande, durant laquelle ils effacent de la mémoire des elfes les visions dérangeantes qui les hantent durant leur sommeil.
Or, exactement une phase solaire avant chacune des deux dernières cérémonies, toute une famille d’elfes avait été décimée dans son sommeil par des lisseurs, tueurs mécaniques sans pitié d’origine inconnue. Cette fois, Chunth, le grand-prêtre précédent, avait décelé chez une jeune guerrière elfe du nom de Glissa un grand pouvoir encore latent, et avait appris par ses visions que quelqu’un cherchait à l’éliminer à cause de ce pouvoir. Une vingtaine de jours avant mon arrivée, la date fatidique étant revenue, Chunth avait fait enlever Glissa sans réveiller sa famille, choisissant de sacrifier celle-ci afin de leurrer les lisseurs et de faire passer Glissa pour morte. Mais une fois à Tel-Jilad, Chunth en avait trop dit à sa captive ; révoltée, elle était parvenue à s’échapper pour tenter de sauver les siens, après s’être emparée d’une puissante épée magique. Les trolls avaient constaté qu’elle était arrivée trop tard, mais n’avaient pas retrouvé son corps.
Quelques jours plus tard, Glissa était revenue, accompagnée d’un énorme homme de fer et… d’un gobelin ! Alors qu’elle s’entretenait de nouveau avec Chunth, un troll avait fait irruption dans la pièce et avait tenté de la tuer, mais le doyen s’était sacrifié pour la sauver. Glissa avait poursuivi le traître jusqu’au Radix, où un mystérieux inconnu, probablement le commanditaire du crime, avait éliminé lui-même son agent et tenté à son tour de tuer Glissa avant de s’enfuir. Après ces sombres événements, l’elfe et ses amis étaient partis, et les trolls ne les avaient pas revus depuis.


Mission de confiance

Myr de fer
“ Myr de fer ”
par Kev Walker © Wizards of the Coast

« Tout cela est bien triste et bien étrange, dis-je à Drouk. Mais qu’attendez-vous de moi ?
– Chunth était le plus vieux de nous tous », poursuivit-il, ignorant mon interruption. « Et tout comme le tien, son corps était dépourvu de métal, car il était le dernier survivant de la première génération d’êtres vivants de Mirrodin. Trolls, elfes, humains, gobelins, léonins, ainsi que de nombreuses autres créatures, furent arrachés à leur monde pour venir peupler celui-ci, qui était alors sans vie. Dès la deuxième génération, les habitants de Mirrodin se transformèrent et certaines parties de leur corps devinrent métalliques, probablement sous l’effet d’un sortilège.
– De tels actes demandent non seulement une absence totale de respect pour les êtres vivants, mais une immense puissance magique, pensai-je tout haut.
– Effectivement. Ces deux traits définissent bien celui qui semble être à l’origine de tout ça, répondit Drouk. Depuis toujours, les trolls ont remarqué que de petites créatures mécaniques, appelées myrs, semblaient épier les créatures vivantes de la Filandre. Puis, au fil du temps, nos visions se sont affinées, et les esprits nous ont appris que les myrs n’étaient que les espions d’une entité bien plus puissante, un être mystérieux du nom de Memnarch, responsable de l’arrivée des êtres vivants sur Mirrodin et de leur évolution métallique. Nous ignorons pourquoi il a fait tout cela, mais mes frères du Conseil et moi-même sommes sûrs d’une chose : Memnarch est soit foncièrement maléfique, soit complètement fou.
– Si sa puissance est si grande, aucune des deux options n’est vraiment réjouissante. Et vous pensez que c’est Memnarch qui cherche à tuer cette elfe, Glissa ?
– C’est plus compliqué que ça », dit le troll, apparemment contrarié que je l’interrompe sans cesse. « D’après Chunth, Memnarch cherche à utiliser le pouvoir latent de Glissa à des fins destructrices. Quelqu’un d’autre a peut-être découvert cela lui aussi, et tente de tuer Glissa pour contrecarrer les plans de Memnarch.
– Mais ses tentatives ont échoué, et à présent Glissa est on ne sait où, risquant de tomber dans les griffes de Memnarch », dis-je.
Le troll acquiesça silencieusement de la tête.
« Laissez-moi deviner… Je dois la retrouver ? Et après ?
– Nous n’en savons rien, Roldaïce. Les esprits nous ont simplement dit de t’envoyer dans Mirrodin, que tu aurais un rôle à y jouer pour nous sauver.
Dans Mirrodin ?
– C’est notre secret le mieux gardé : Mirrodin est creux, et à l’intérieur se trouve un autre monde qu’on appelle le Noyau. Nous savons maintenant que c’est là que réside Memnarch.
– Hmm… Je crois que vos esprits me surestiment s’ils me croient capable de vaincre Memnarch.
– Les esprits savent ce qui peut être accompli, répondit Drouk. Peut-être te guideront-ils dans la tâche qu’ils t’ont assignée. »
Je réfléchis quelques instants. Que pourrais-je faire, privé de mes pouvoirs, face à un être aussi puissant que ce Memnarch ? Drouk n’avait-il pas détecté qu’aucune aura magique n’émanait de moi ? Tout cela était fou… Mais après tout, pourquoi pas ? J’étais passé par des aventures tout aussi extraordinaires au fil des siècles !
« Soit, je fais confiance à vos esprits, déclarai-je au troll. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider. Mais cela risque de ne pas être grand-chose, car au cas improbable où vous ne l’auriez pas senti, je dois vous avouer que je n’ai aucun pouvoir magique sur votre monde. »
Le grand-prêtre me regarda d’un air pensif, puis un sourire apparut sur son visage pour la première fois.
« Merci de ta décision et de ta franchise, Roldaïce de Dominaria. Les esprits ne se trompent jamais lorsqu’ils accordent leur confiance. »
Sur ce, le troll se leva, dépliant son corps massif apparemment engourdi après de longues heures de méditation immobile. Il s’approcha du fond de la salle, plongé dans l’ombre, et en revint avec un objet brillant : la sphère !
« Pourtant, contrairement aux esprits, certains membres du Conseil ne te font pas confiance et ont proposé que même au cas où tu acceptes de t’acquitter de ta mission, nous gardions ta sphère afin de t’obliger à tenir parole, dit Drouk.
– Habituellement, je n’aime guère que l’on mette ma parole en doute, mais après tout, vos frères ne me connaissent pas et je peux les comprendre. De toute façon, leur précaution est inutile car j’ignore comment utiliser cette sphère.
– Oui, je sais. Toutefois je ne partage par l’opinion que mes frères ont de toi. Qui plus est, je pense que si les esprits t’ont amené ici avec cette sphère, c’est qu’ils veulent que tu la gardes avec toi… Et heureusement pour toi, c’est moi le grand-prêtre ! » ajouta-t-il avec un air presque malicieux, tout en me tendant l’artefact.
Après un instant d’étonnement, je lui souris à mon tour.
« Merci, Drouk. Non pas pour la sphère, mais pour votre confiance. »
Il ne répondit pas, se contentant de me rendre mon sourire. À peine eus-je saisi la sphère qu’une violente vague d’énergie déferla en moi. Par réflexe, je voulus lâcher l’objet, mais mes mains restèrent collées à lui, comme maintenues par une force invisible. L’énergie et la douleur s’intensifièrent et je tombai à genoux malgré mes efforts pour résister. Drouk avait-il piégé la sphère pour m’éliminer ? Non, c’était impossible, un instant plus tôt j’aurais juré qu’il était sincère et bon ! Et pourtant, il restait planté devant moi, stoïque, tandis qu’une douleur insoutenable vrillait mon cerveau et chauffait à blanc chacun de mes nerfs.


Vision

L'Héritage
“ L'Héritage (détail : Karn) ”
par Terese Nielsen © Wizards of the Coast

La souffrance était telle que je crus ma dernière heure arrivée. Je fermai les yeux, et j’eus l’impression que mon corps était transpercé par un millier d’aiguilles. Finalement, ma volonté lâcha prise, et je m’affaissai sur le sol en sombrant dans l’inconscience.
Quand je revins à moi, je n’étais plus dans la salle du conseil de Tel-Jilad. Je flottais au-dessus d’un monde argenté recréant à la perfection plaines, jardins, forêts et montagnes, mais apparemment dénué de vie. Aucun soleil, aucune lune n’était visible dans le ciel, éclairé par une multitude de petites étoiles animées de mouvements erratiques. À l’horizon se dressait un majestueux palais d’argent à l’architecture incroyablement complexe. Ses multiples tours s’élançaient gracieusement vers le ciel, reliées çà et là par des passerelles ouvragées et soutenues par de délicats arc-boutants. Tandis que je contemplais le palais avec émerveillement, il se métamorphosa en un visage métallique. Un visage qui m’était familier, bien que je ne l’aie plus revu depuis l’Apocalypse : celui de Karn ! Malgré ses traits peu expressifs, j’eus clairement l’impression qu’il me souriait. Puis tout devint flou et je replongeai dans le néant.
Lorsque je m’éveillai, pour de bon cette fois, je sentis immédiatement que quelque chose avait changé en moi. Depuis mon arrivée sur Mirrodin, j’avais été incapable de canaliser le mana environnant, et à présent il coulait dans mon esprit avec autant de force que sur mon monde. Pourtant, ce mana avait un goût psychique différent de celui de Dominaria : un je ne sais quoi de plus artificiel, plus métallique. Peut-être était-ce pour cela que je n’avais pu le capter auparavant ? J’étais allongé sur un lit confortable, dans une petite pièce éclairée par quelques fruits phosphorescents. Feryl était près de moi. Quant il me vit m’éveiller, il envoya deux autres gardes avertir Drouk.
« Comment te sens-tu ? me demanda l’elfe en souriant.
– En pleine forme, merci ! »
La sphère d’argent était posée près de moi. Je pouvais enfin percevoir clairement son aura magique, et, suite à ma vision, je sus que l’empreinte que j’avais cru reconnaître en elle était bien celle de Karn. Quel lien y avait-il entre le légendaire golem d’argent et Mirrodin ?
Feryl m’apprit que j’étais resté inconscient trois jours durant, et que Drouk avait ordonné à l’élite des élus de Tel-Jilad de me protéger jusqu’à mon réveil. Évidemment ! Drouk n’était pas mon ennemi. S’il m’avait laissé me tordre de douleur, c’est parce qu’il savait que la sphère ne me tuerait pas. Et il avait eu raison : l’artefact avait enseigné à mon esprit comment utiliser le mana de Mirrodin pour me permettre d’accomplir ma périlleuse mission.

Cavalier de Tel-Jilad
“ Cavalier de Tel-Jilad ”
par Paolo Parente © Wizards of the Coast

Peu après, Drouk nous rejoignit, portant un sac dans l’une de ses grandes mains. Le troll referma la porte, puis me salua.
« Je vois que les esprits ont fait de toi un sorcier de Mirrodin, ami Roldaïce, me dit Drouk. Ton repos était nécessaire, mais à présent le temps presse. »
Il sortit du sac une petite armure de cuir flambant neuve et me la tendit.
« Je sais que tu te bats à l’aide de ta magie, mais cette cotte est faite de cuir de vorrac et elle pourra peut-être te sauver la vie. J’avais d’abord pensé te faire forger un plastron, puis mon instinct m’a soufflé que puisque tu ne portes pas de métal, il valait mieux qu’il en reste ainsi. »
Je remerciai Drouk pour son présent. Lors de nos discussions, Feryl m’avait parlé des vorracs, de féroces sangliers particulièrement difficiles à chasser.
« Pour accéder au Noyau, il faut emprunter l’un des quatre tunnels existants, expliqua Drouk. Malheureusement, la Filandre n’en possède pas, car chacun d’eux a été creusé dans une région différente de Mirrodin lorsque le soleil correspondant a jailli du Noyau vers le ciel. Et le soleil vert ne s’est pas encore levé. »

Vorrac aux sabots de cuivre
“ Vorrac aux sabots de cuivre ”
par Matt Cavotta © Wizards of the Coast

Le troll jeta un coup d’œil à Feryl, qui tremblait en m’aidant à ajuster ma cotte de cuir, sous le coup d’un mélange de peur superstitieuse et d’excitation. Il était peut-être le premier elfe à apprendre ces secrets interdits !
« Si je parle de ces choses devant Feryl, c’est parce qu’il t’accompagne dans ta quête. De toute façon, le temps des secrets touche à sa fin. Le tunnel de Méphidross donne sous le Caveau des chuchotements, et celui de la mer de vif-argent dans l’île de Lumengrid. Vos chances d’atteindre ces deux tunnels vivants sont inexistantes. Celui des montagnes d’Oxidda est gardé par les gobelins, et celui des plaines par les léonins. Dans les deux cas, l’accès au tunnel est sacré, mais bien que tu sois un gobelin, je pense que les léonins sont plus sages et qu’il vous laisseront peut-être passer. De plus, Taj-Nar est bien plus proche d’ici qu’Oxidda.
– Dans ce cas, soit ! Nous irons voir les léonins », dis-je en glissant la sphère dans le sac.
Une heure plus tard, Feryl et moi quittâmes Tel-Jilad, montés sur un énorme loup. Grâce à leur grande affinité avec la forêt, les trolls et les elfes avaient fait de ces féroces animaux leurs alliés, qui s’avéraient être de redoutables montures de combat. Drouk nous avait fourni des provisions pour notre voyage et nous avait souhaité bonne chance.
« Prenez bien garde aux myrs, car Memnarch voit par leurs yeux, avait rappelé le vieux troll. Allez, à présent, et que les esprits vous guident et vous protègent. »
Bien qu’assez inconfortable, le loup était une monture puissante et rapide, et nous parvînmes à la lisière de la Filandre en quelques heures. Nous fîmes halte pour boire un peu d’eau et contempler le paysage qui s’offrait à nous, contraste frappant avec la forêt. Les vastes étendues des plaines de Mirrodin s’étendaient à perte de vue, vallonnées de quelques collines basses et parsemées ici et là de champs d’herbe-rasoir.

Myr de cuivre
“ Myr de cuivre ”
par Kev Walker © Wizards of the Coast

Soudain, alors que nous allions reprendre notre route, pleins d’ardeur, le loup tourna vivement la tête vers l’orée de la forêt en grognant. Feryl et moi nous retournâmes et vîmes, à demi cachée derrière un arbre, une curieuse petite créature cuivrée dotée d’un gros bec arrondi et de grands yeux. Le myr cessa aussitôt de nous observer et disparut dans la forêt. Feryl voulut le poursuivre, mais je l’en dissuadai. Si ce que Drouk nous avait dit était exact, le myr avait déjà transmis le message à son maître, et il était désormais inutile de lui donner la chasse.
Il fallait aller de l’avant malgré ce sinistre présage, et nous aventurer jusqu’au Noyau même si Memnarch nous y attendait.


Morne plaine

Plaine de Mirrodin
“ Plaine de Mirrodin ”
par John Avon © Wizards of the Coast

Suivant les instructions que m’avait données Drouk pour trouver Taj-Nar, la forteresse des léonins, nous commençâmes notre traversée des plaines miroitantes de Mirrodin. Le mélange des lumières colorées des quatre soleils se reflétant sur le sol argenté nous offrait un spectacle magnifique ! Néanmoins, progresser n’était pas toujours facile, les champs d’herbe-rasoir nous contraignant à faire de larges détours.
Au soir du quatrième jour de notre voyage, nous fûmes arrêtés par des guerriers humains, des Aurioks, dont les bras et les épaules étaient faits d’or. Je parvins à les convaincre de nos bonnes intentions, et ils nous offrirent l’hospitalité dans leur village. Quand j’exposai le but de notre quête à Selka, le chef de la tribu, il nous informa que nous avions dévié de notre route, et nous indiqua comment rejoindre Taj-Nar. Il nous mit aussi en garde contre les nims, de terribles morts-vivants venus du marais de Mephidross, rôdant dans les plaines et attaquant toute forme de vie. Les Aurioks les affrontaient avec courage mais étaient souvent contraints de fuir face à leur nombre. La voix de Selka était chargée d’un mélange de colère et de lassitude, et j’eus pitié de ce peuple condamné à vivre dans la fuite. S’il m’arrivait de rencontrer des nims, j’aurais quelques mots à leur dire… Tandis que Feryl et Selka continuaient à discuter, le vieux sorcier Renok m’invita dans sa tente, et nous échangeâmes quelques techniques magiques autour d’une décoction de sa composition.
Au matin, nous saluâmes les Aurioks et reprîmes notre route. Le soir venu, bien que nous n’ayons pas rencontré de zombies, je protégeai notre bivouac d’un cercle de protection contre le noir, et la nuit se passa sans incident. Le lendemain, peu après le lever du soleil blanc, Feryl remarqua un gros oiseau qui tournoyait loin au-dessus de nous. À peine m’eut-il averti que la bête cessa son manège et s’éloigna rapidement dans la direction que nous suivions.

Ancienne tanière
“ Ancienne tanière ”
par Rob Alexander © Wizards of the Coast

Quelques heures plus tard, mon ami à la vue perçante repéra une grande forme se découpant sur l’horizon, droit devant nous. En nous rapprochant, nous vîmes qu’il s’agissait d’une énorme forteresse dorée, protégée par de hautes et épaisses murailles : nous étions enfin en vue de Taj-Nar. Impatients de parvenir à cette étape importante de notre quête, nous forçâmes l’allure. Nous parvînmes au sommet d’une colline surplombant la plaine de Taj-Nar… et notre enthousiasme se changea en horreur.
« Par Tel-Jilad ! » lâcha Feryl devant le spectacle qui s’offrait à nous.

Gémissement du nim
“ Gémissement du nim ”
par John Matson © Wizards of the Coast
Aux abords de l’imposante citadelle, la bataille faisait rage entre une poignée d’hommes-lions et une véritable marée de zombies. Les guerriers tentaient de rallier les portes ouvertes de Taj-Nar, mais ils étaient encerclés par les nims et devaient lutter âprement pour chaque pied de terrain. Les léonins se battaient vaillamment, fauchant de nombreux nims, mais ils tombaient les uns après les autres sous les griffes des zombies, leurs corps disparaissant aussitôt dans la masse noire et grouillante. Un autre groupe de léonins venant de la forteresse tentait d’ouvrir la voie à la petite compagnie, mais essuyait lui aussi de lourdes pertes face aux monstres. Car pour lents et malhabiles que fussent les zombies, ils bénéficiaient d’une supériorité numérique écrasante. Comme si cela ne suffisait pas, un gaz verdâtre s’échappait de tuyaux sortant de leur corps, et les léonins étaient secoués de quintes de toux qui les handicapaient grandement au combat.

Patrouille chasseciel
“ Patrouille chasseciel ”
par Matt Cavotta © Wizards of the Coast

Le champ de bataille était survolé par de grands reptiles au long cou et au bec acéré, et je compris que c’était l’un d’eux que nous avions pris pour un oiseau le matin même. Les bêtes servaient de montures à des chevaliers léonins, qui tentaient d’aider leurs congénères en arrosant les nims de flèches et de lances, mais apparemment sans résultat notable. Au sol, les guerriers léonins tombaient les uns après les autres à un rythme terrifiant. Je devais agir vite, très vite.
« Il faut les aider ! » dit Feryl en dégainant son épée et en se retournant vers moi, guettant mon approbation pour lancer son loup dans la bataille.
« Bien sûr, mais pas en se faisant massacrer ! répondis-je vivement. Approche ton loup des zombies, mais ne te jette pas dans la mêlée. Compris ? »
Feryl acquiesça et fit dévaler la colline à sa monture. Tandis que nous nous rapprochions des nims, j’ouvris mon esprit et appelai à moi la puissance des plaines. Je sentis le mana blanc de Mirrodin se déverser en moi, avec son goût métallique caractéristique. Alors que les nims les plus proches prenaient conscience de notre approche et se retournaient vers nous, je formulai mentalement un sort très ancien datant d’une bien sombre époque de Dominaria. Puis je libérai mon mana en criant à pleins poumons : « O’lilaï’t ! »
À peine eus-je prononcé ce mot de pouvoir qu’une vive clarté tomba des cieux, illuminant le champ de bataille. Une cacophonie de gémissements monta aussitôt de la horde de zombies, et ils tombèrent presque tous au sol, secoués de mouvements désordonnés. Une fumée noire commença à se mêler à la nappe de gaz toxique tandis que la lumière sacrée consumait les corps des cadavres animés. Certains des plus imposants restaient en état de combattre, mais ils étaient peu nombreux. Sans perdre une seconde, les léonins profitèrent de ce répit inespéré pour courir vers Taj-Nar. Nous devions à tout prix les rejoindre avant que les portes ne se referment, d’autant que mon sort ne durerait pas éternellement, et que je n’avais nulle envie de me retrouver au milieu des nims restants…
« Fonce ! » criai-je à Feryl en m’accrochant à lui.
Notre loup courant ventre à terre, nous traversâmes à toute vitesse la plaine jonchée de cadavres. Les léonins avaient rejoint les portes et nous attendaient. Un grand nim s’approcha pour nous barrer la route, mais Feryl fit faire un écart à son loup et décapita le zombie d’un coup d’épée bien ajusté.
« Pour les Aurioks ! » cria-t-il alors que le corps monstrueux s’effondrait sur ses semblables.

Raksha Lionceaudor
“ Raksha Lionceaudor ”
par Pete Venters © Wizards of the Coast

Nous atteignîmes enfin les portes, et déjà certains nims commençaient à se relever, l’effet de mon sort touchant à sa fin. À peine fûmes-nous entrés que les lourds battants se refermèrent. Autour de nous, les guerriers léonins nous menaçaient de leurs armes, méfiants.
« Baissez vos armes ! » ordonna d’une voix puissante un grand léonin qui faisait partie de ceux qui venaient de rejoindre la citadelle, probablement leur capitaine.
Les autres obéirent immédiatement.
« Merci de nous avoir aidés. Mais puis-je savoir qui vous êtes et la raison de votre présence providentielle ? nous demanda-t-il.
– Je suis Roldaïce, mage gobelin, et voici mon compagnon Feryl, Élu de Tel-Jilad. »
Un murmure parcourut l’assistance à la mention de ce nom. La deuxième partie de la question posait plus de problèmes. Je pouvais difficilement annoncer en public à ces farouches guerriers que nous venions dans le but de nous introduire dans leur lieu saint.
« Quant à la raison de notre venue... Je regrette, mais c’est un sujet délicat, et je ne puis en faire part qu’à vos plus hauts dignitaires.
– Soit ! Nous en parlerons donc au palais. Je suis Raksha, kha des léonins. Bienvenue à Taj-Nar. »


Voyage au centre de Mirrodin

Retournement de situation
“ Retournement de situation ” (détail)
par Christopher Moeller © Wizards of the Coast

Nous accompagnâmes Raksha et ses hommes à travers la citadelle, en remontant vers le palais. Sur notre passage, les léonins acclamaient leur kha, en saluant et en rugissant. La simple présence de leur chef faisait renaître en eux l’espoir de jours meilleurs, comme c’était souvent le cas là où les gens affrontaient un danger omniprésent. En chemin, je pus également admirer Taj-Nar elle-même, véritable merveille d’architecture. Arrivés au palais, Raksha nous présenta à une léonine plus âgée, du nom d’Ushanti. Je leur exposai mon histoire et notre mission, et leur demandai l’autorisation d’emprunter le tunnel s’ouvrant sous Taj-Nar.
« Il n’en est pas question ! s’exclama Ushanti. La Caverne de lumière est un lieu sacré où seuls peuvent pénétrer les plus saints d’entre nous. Vos exploits ne vous donnent pas tous les droits !
– Ushanti… intervint Raksha. Je comprends votre réaction, mais Roldaïce m’a sauvé la vie, et je lui fais confiance. De plus, Glissa est mon amie, et si Roldaïce peut l’aider, je me dois de lui faciliter la tâche. Roldaïce et Feryl passeront par la Caverne de lumière. Ainsi en a décidé le kha. »
Ushanti me jeta un regard noir. Le kha était le chef suprême des léonins, et même elle ne pouvait aller contre sa volonté.
« Merci à toi, kha Raksha, dis-je en m’inclinant. Dame Ushanti, nous accomplirons tous les rituels appropriés avant d’entrer dans votre lieu sacré. »
Après avoir assisté aux rites funéraires des léonins tombés au combat, nous passâmes la soirée comme invités du kha.

Abunas léonins
“ Abunas léonins ”
par Darrell Riche © Wizards of the Coast

Le lendemain matin, Raksha vint nous annoncer que malgré sa bienveillance, nous devrions laisser notre loup à Taj-Nar, et la perspective de finir le périple à pied ne fut pas pour nous réjouir. Puis il nous souhaita bonne chance et prit congé. Ushanti et ses pairs nous soumirent à des rituels pour nous préparer à entrer dans la Caverne de lumière, avant de nous guider au long d’un escalier descendant profondément sous la cité. Le sanctuaire était vaste, et ses murs d’or étaient entièrement décorés de magnifiques bas-reliefs. Ce lieu sacré inspirait le respect, et Feryl était très impressionné. On nous mena rapidement au centre de la caverne, comme pour limiter autant que possible la durée de notre intrusion. Nous découvrîmes un trou d’une centaine de pas de diamètre, d’où émanait une douce lumière jaune. À ma grande surprise, Ushanti sauta dans le trou… et se reçut sur la paroi verticale !
« La gravité est différente dans le tunnel », nous dit-elle.
Nous suivîmes son exemple, et je manquai de tomber lors de la manœuvre. Une expérience fort surprenante, en vérité !
« Que Dakan veille sur vous ! » dit Ushanti en nous bénissant de la main.
Nous la saluâmes, puis avançâmes dans le tunnel de lumière… Les parois étaient lisses et régulières, et je repensai à ce que nous avait expliqué Drouk : c’était le soleil blanc qui avait creusé ce tunnel lors de son éruption, en traversant la structure même de Mirrodin. Dépourvus de repères dans cet environnement monotone, nous marchâmes un long moment qui nous parut une éternité, le seul indice de notre progression étant une augmentation progressive de la lumière, et curieusement, d’émanations de mana vert.

Treille de mycosynthèse
“ Treille de mycosynthèse ”
par Anthony S. Waters © Wizards of the Coast

Nous parvînmes enfin au bout du tunnel, pour contempler un spectacle époustouflant. Un gigantesque espace sphérique s’ouvrait devant nous, un soleil vert brûlant en son centre. Les parois du Noyau étaient hérissées de grandes formes ressemblant à des arbres grisâtres tendus vers le soleil, et dont les branches se rejoignaient pour former un réseau arachnéen. Nous aperçûmes au loin une tour de métal, bien plus haute que les arbres, pointant elle aussi vers la crépitante sphère de mana vert. Nous enjambâmes le bord du trou et nous retrouvâmes de nouveau sur nos pieds, avec le soleil vert loin au-dessus de nos têtes. Nous étions parvenus au Noyau, et il nous restait à affronter Memnarch.
Après avoir contourné un grand arbre, nous croisâmes une sorte de piste rectiligne d’où la mousse avait été arrachée, laissant apparaître le sol métallique. Feryl s’agenouilla et examina les traces.
« Des lisseurs, dit-il en se relevant. J’ai vu des traces semblables chez moi, après que la famille de Glissa a été massacrée. »
À peine Feryl eut-il terminé sa phrase qu’il tourna vivement la tête, tous sens en alerte.
« Les voilà ! » dit-il en dégainant son épée.

Lisseur
“ Lisseur ”
par Carl Critchlow © Wizards of the Coast

Effectivement, j’entendis à mon tour un bourdonnement sourd, et vis à deux cents pas de nous une dizaine de créatures métalliques de dix pieds de haut, leurs carapaces arrondies reflétant la lumière verte du soleil. Elles approchaient à vive allure et nous n’avions aucune chance de les distancer. Je me concentrai et appelai à moi le mana rouge des montagnes de Mirrodin, puis je tendis le bras vers le lisseur de tête et m’écriai « Chaatheurr’ ! »
Une onde de magie jaillit de mes doigts et le dôme de la créature explosa. Mais ses semblables continuèrent de foncer vers nous, et je sus que je n’aurais jamais le temps de tous les détruire de cette façon. C’est alors que je me souvins de ma discussion avec Renok… Il m’avait enseigné l’une de ses techniques magiques, permettant d’étendre l’effet d’un sort à plusieurs cibles identiques. Cela rendait le sort plus complexe et plus difficile à lancer, mais c’était notre seule chance !
Je me concentrai à nouveau. À côté de moi, Feryl serrait son épée, se préparant à un combat perdu d’avance. Les lisseurs arrivaient, les lames effilées de leurs gueules tournoyant avec frénésie. Je parvins enfin à formuler le nouveau sort dans ma tête, puis prononçai les mots magiques en tendant les bras et en y mettant toute ma volonté. L’onde jaillit à nouveau, faisant exploser un lisseur, puis ricochant vers un autre, puis un troisième… Feryl plongea et me plaqua au sol, nous sauvant d’une pluie mortelle de lames et de bouts de métal déchiquetés. Lorsque nous nous relevâmes, les oreilles résonnant encore des assourdissantes détonations, les lisseurs étaient tous disloqués.
« Waouh, impressionnant ! lança Feryl. Bravo Roldaïce !
– Hum… merci, fis-je en m’époussetant. Mais ne traînons pas ici. Avec tout ce boucan, d’autres vont certainement arriver. Plus de temps à perdre ! »
Je nous lançai un éphémère de rapidité, et nous partîmes en courant vers la tour de métal. En chemin, nous croisâmes de nombreux myrs, qui nous regardèrent passer sans faire un geste pour nous arrêter. Une fois arrivés au pied de la tour, nous nous aperçûmes qu’elle n’était pas gardée.
« Personne là-dedans non plus, dit Feryl après avoir jeté un œil par la grande ouverture à la base de la tour. C’est sûrement un piège !
– Piège ou pas, il faut y aller », répondis-je, prêt à canaliser de nouveau mon mana.


La tour du fou

Citadelle de sombracier
“ Citadelle de sombracier ”
par John Avon © Wizards of the Coast

Nous entrâmes dans un hall immense, sombre et complètement vide. En son centre se trouvait une estrade circulaire, éclairée par un rayon de lumière verte tombant d’un trou dans le plafond. Cette vision me rappela l’arrivée de la sphère dans ma propre tour.
La sphère ! Peut-être pourrait-elle m’aider contre Memnarch ?
Je la sortis de mon sac et avançai vers la lumière, Feryl me suivant de près. Quand nous fûmes montés sur l’estrade, celle-ci commença à s’élever. Memnarch nous attendait, et nous nous jetions droit dans ses griffes.
Nous émergeâmes dans une grande pièce remplie d’artefacts et de machines, et brillamment éclairée par le soleil vert. Vaste dôme transparent, le sommet de la tour offrait une vue imprenable sur le Noyau. Affairé à la manipulation de leviers et de cadrans lumineux se tenait un être monstrueux, mi-métallique mi-humain. Il était doté de deux bras et de quatre puissantes pattes articulées, et sa tête portait un énorme réservoir empli d’un liquide bleuté.
« Ils sont venus, Maître Karn, ils m’ont apporté votre présent ! croassa la grotesque créature.
– Memnarch, je présume ? » lançai-je en brandissant la sphère dans l’espoir qu’elle me confère un quelconque pouvoir sur mon ennemi.
L’être sembla m’ignorer, et continua de parler seul.
« Il me sera fort utile pour vous rejoindre, Maître. »
Sur un simple geste de Memnarch, la sphère fut arrachée de ma main par une force invisible et vola à travers la pièce pour se poser dans la sienne. Au même moment, j’entendis derrière moi un grand bruit métallique et me retournai vivement, pour voir avec horreur que Feryl avait subi un sort similaire à celui de la sphère. Il était à présent collé à la paroi, au fond de la salle. Le robuste guerrier était inconscient.
« Feryl ! »

Double vue
“ Double vue ”
par Luca Zontini © Wizards of the Coast

Memnarch sembla surpris que je n’aie pas subi le même sort que l’elfe. Puis il se mit à ricaner, et Feryl retomba au sol.
« Bien sûr, pas de métal ! Peu importe… Malil, élimine cette nuisance, j’ai du travail. »
Mon ennemi fit un autre geste, et un panneau s’ouvrit tout près de moi dans le mur métallique, laissant passage à un homme de métal. Je fus complètement pris au dépourvu et il se jeta sur moi avant que j’aie eu le temps de réagir. D’un geste étonnamment fluide pour un être artificiel, il me donna un violent coup de pied dans le torse qui me projeta à l’autre bout de la pièce. J’atterris durement sur le sol de métal lisse et glissai jusqu’au dôme de verre.
Le souffle coupé et à moitié sonné, je secouai la tête et luttai pour me relever malgré la douleur. Le choc avait été rude, mais le cuir de vorrac avait empêché le pied d’acier de me briser les os. Haletant, je vis Malil venir vers moi, sans se presser. Son regard et son visage métalliques étaient remarquablement expressifs, et j’y lus un mélange de mépris et de sadisme. Plus loin, j’entendis Memnarch marmonner quelque chose à l’intention de la sphère, comme s’il était seul dans la pièce et que rien de particulier ne s’y passait.
Malil se pencha vers moi, m’agrippa, me souleva, et me serra entre ses bras puissants. Il aurait pu m’écraser comme un œuf, mais se contenta de m’emprisonner. Puis je réalisai que la pression qu'il exerçait sur ma cage thoracique augmentait peu à peu, de façon régulière et inéluctable.
« Je suis très curieux de découvrir dans quel ordre tes os fragiles vont se casser, petit être de chair » me dit l’homme de métal d’un ton amusé, comme s’il me faisait une confidence.
Je fus alors saisi d’une irrépressible peur panique, et au lieu de faire appel à ma magie, je me mis à battre désespérément des pieds et des poings sur le corps d’acier de mon bourreau. Devant la futilité de cet assaut dérisoire, le sourire de Malil s’élargit.
« Intéressante réaction... À propos, sache que quand j’en aurai fini avec toi, je soumettrai ton ami elfe à une expérience similaire, bien qu’il soit pour moi un sujet d’étude moins nouveau. »
Quelque chose dans la voix de cette abomination de métal provoqua soudain en moi une violente colère, qui balaya d’un coup la douleur et la terreur qui m’empêchaient d’agir. Je sentis le mana rouge se déverser dans mon esprit, et je mis ce qui me restait de souffle pour prononcer, faiblement mais sans trembler : « Jaïen’t’strènss’ ! »
Je sentis aussitôt la force d’un géant déferler dans mes muscles, et abattis violemment mes deux poings de chaque côté de la tête de Malil. Bien que résistante, elle se déforma sous le choc en émettant un grincement. L’expression de mon ennemi passa de la confiance en soi à la stupeur, et je sentis son emprise se relâcher. Je frappai à nouveau, encore plus fort, et cette fois la tête de l’être de métal s’écrasa comme un fruit mûr. Ses bras me lâchèrent et je retombai sur mes pieds. Apparemment incapable de bouger de façon coordonnée, Malil était secoué de mouvements aléatoires et spasmodiques.
« Crétin ! » cria Memnarch depuis son poste de travail.

Memnarch
“ Memnarch ”
par Carl Critchlow © Wizards of the Coast

Puis il s’élança vers moi, ses pattes cliquetant sur le sol. Toujours doué d’une force surhumaine, je saisis le corps défectueux de son serviteur et le projetai vers lui. D’un geste, le gardien de Mirrodin dévia magiquement mon lourd projectile, qui acheva sa course en percutant une machine avec fracas et dans une grande gerbe d’étincelles.
Fou de rage, Memnarch m’expédia une décharge d’énergie bleue. Je fis une roulade sur le côté et l’évitai de justesse, me relevai, et tendis la main vers mon ennemi en criant : « Laït’nin’bolt ! » Mais Memnarch réagit avec une incroyable rapidité : il tendit lui aussi la main et ses yeux à facettes émirent un flash bleu. Mon éclair ricocha dans la paume du monstre et partit frapper une autre machine, qui explosa.
« Non ! » hurla Memnarch.
L’explosion se propagea à la machine adjacente, puis à une autre, et le laboratoire fut vite saturé d'énergie magique. Renonçant à me combattre, Memnarch se précipita vers son panneau de contrôle, et se mit à manipuler frénétiquement boutons et leviers, afin sans doute de limiter les dégâts. Cette attitude me prit de cours, et je restai interdit, répugnant à le tuer alors qu’il n’était pas sur ses gardes. Puis je perçus une soudaine surcharge de mana vert, de même que Memnarch, car nous levâmes la tête au même moment. Au-dessus de nous, le soleil vert se mit à émettre de grosses langues de mana, comme s’il était en train de bouillir, ce qui était probablement une conséquence de la débauche d’énergie libérée dans la tour.
« Non, Maître Karn, ce n'est pas possible, il est trop tôt... » dit Memnarch d’une voix si désespérée que j’eus presque pitié de lui.
Sans doute sous l’action d’un mécanisme automatique, le dôme de verre de la pièce commença alors à s’ouvrir, tandis que d’une trappe sortait un engin muni d’un large siège et surmonté d’un cône pointant droit vers le soleil. Le bruit métallique que fit l’engin en s’enclenchant dans le sol me sortit de ma torpeur. J’ignorais dans quel but Memnarch avait mis en place tout ce dispositif, mais j’y avais jeté un gros grain de sable et il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’une catastrophe était sur le point de se produire.
Avant que les effets de mon enchantement de force de géant ne se dissipent, je courus vers le bureau de Memnarch et m’emparai de la sphère d’argent. Je m’étais attendu à ce que le gardien tente de m’en empêcher, mais il n’en fit rien. Néanmoins, mon action le tira à son tour de sa passivité, et il se rua vers la plate-forme par laquelle Feryl et moi étions arrivés. Elle s’enfonça dans le sol et Memnarch disparut à ma vue. Au même instant, je sentis que la charge du soleil vert avait dépassé un point de non-retour. Je levai à nouveau les yeux vers lui pour constater avec effroi qu’il se dirigeait droit vers le cône de métal se trouvant à quelques pieds de moi.

Flambeau de la création
“ Flambeau de la création ”
par Mark Tedin © Wizards of the Coast

C’est alors qu’une voix dans ma tête me cria : « Saute ! » Sans réfléchir, et tenant toujours fermement la sphère d'une main, je sprintai vers Feryl. J’agrippai le corps inanimé de mon ami et bondis hors de la tour juste au moment où la gigantesque boule de feu vert entrait en contact avec la structure de métal. À peine eus-je sauté qu’une formidable explosion se produisit, son souffle m’enveloppant et infléchissant la trajectoire de ma chute. Derrière moi, la tour d’acier fut disloquée comme un vase de verre par la terrible énergie de la boule de mana. En voyant le sol se rapprocher de moi, j’espérais être parvenu à accomplir ma mission en ayant fait en sorte que Memnarch ne nuise plus à personne. Puis la sphère d’argent cliqueta, un flash m’enveloppa, et tout devint noir.

Lorsque j’ouvris les yeux, je vis Glok et Delana penchés sur moi.
« Ça va, Maître Roldaïce ? me dit mon apprentie.
– Ou-oui… Je… je suis de retour ? balbutiai-je en me frottant la tête.
– Eh oui ! soupira Glok. Fini les vacances ! »
Delana lui donna une petite tape.
« Idiot ! Nous étions morts d’inquiétude ! »
J’éclatai de rire et les serrai dans mes bras.
« Oh, mes enfants, comme je suis heureux de vous revoir ! »
J’étais revenu dans mon laboratoire, mais la sphère d’argent n’était plus là. J’ignorais ce qu’il était advenu de Feryl, et au cours des jours qui suivirent, je me creusai la tête pour trouver un moyen de contacter Karn, mais en vain. Puis la vie reprit son cours, comme si mon aventure sur Mirrodin n’avait été qu’un rêve...


Morts et résurrections

Plusieurs mois plus tard, un vieil ami me rendit visite : Karn. J’accueillis chaleureusement le golem d’argent et le priai de me donner des nouvelles de Mirrodin. Il me remercia d’avoir répondu à son appel et contribué à combattre Memnarch, puis il me raconta toute l’histoire. Lors de l’Apocalypse, le golem était devenu un arpenteur, un être quasi-divin à la puissance magique incommensurable. Cela, je le savais. Karn avait ensuite créé un monde de métal ciselé comme une mécanique parfaite, nommé Argentum. Il y avait placé un gardien métallique du nom de Memnarch, créé à partir du Mirari de sinistre mémoire, puis était parti arpenter le Multivers. Mais au fil du temps, Memnarch avait dépassé ses prérogatives et décidé d’arracher des créatures à un autre plan pour peupler le sien, qu’il avait renommé Mirrodin. Dévoré par une étrange obsession, il avait peu à peu sombré dans la folie et commencé à changer, de la chair apparaissant sur son corps de métal.
Quand Karn s’était aperçu de ce que Memnarch avait fait, il avait voulu rentrer pour mettre un terme à ses agissements, mais en vain : dans sa folie, Memnarch s’était convaincu que Karn était à ses côtés, et cette image mentale générée par un être disposant d’une puissance magique aussi considérable que lui avait empêché le véritable Karn de revenir sur le monde qu’il avait créé. Faute de pouvoir intervenir directement, Karn avait donc envoyé des visions aux trolls, et en particulier à Chunth, pour l’inciter à soustraire Glissa aux lisseurs, et à l’elfe pour la guider dans sa quête. Il m’avait également envoyé la sphère d’argent, objet semi-intelligent imprégné d’une partie de son pouvoir, capable de m’amener sur Mirrodin. Karn m’offrit d’ailleurs la sphère en souvenir, cadeau que j’acceptai avec joie.
Malheureusement, Memnarch avait survécu à l’explosion de sa tour lors de l’éruption du soleil vert, et continué à oppresser les peuples de Mirrodin et à faire traquer Glissa par ses sbires. Car le pouvoir latent que le vieux Chunth avait senti chez Glissa n’était autre que l’étincelle magique donnant une chance à son porteur de devenir un arpenteur. Le but ultime de Memnarch était de s’approprier l’étincelle de l’elfe afin de réaliser son rêve : devenir un arpenteur pour être l’égal de son maître, Karn lui-même. Dans son combat contre Memnarch et ses séides, Glissa avait reçu l’aide de Raksha et de ses léonins, ainsi que d’autres peuples de Mirrodin, qui avaient résisté vaillamment.

Canaliser l’énergie des soleils
“ Canaliser l’énergie des soleils ”
par Rob Alexander © Wizards of the Coast

Après bien des péripéties, Glissa était parvenue jusqu’à sa némésis, sans se douter qu’elle participait à son plan machiavélique. Le gardien de Mirrodin avait précédemment capturé Slobad, le bricoleur gobelin surdoué qui avait fidèlement assisté Glissa au début de sa quête. Dans une nouvelle tour, le malheureux captif avait été relié à une machinerie complexe, condamné à l’entretenir et à la perfectionner pendant que Memnarch s’isolait dans un caisson destiné à effacer toute trace de chair de son corps. L’arrivée de Glissa coïncidait avec un événement extrêmement rare : l’alignement des cinq soleils de Mirrodin. La machinerie imaginée par Memnarch et réalisée par Slobad avait pour but de canaliser trois sources de pouvoir : l’énergie produite par la conjonction solaire, l’ensemble des âmes des êtres de Mirrodin piégées par un dispositif diabolique, et l’étincelle de Glissa ; puis de transférer le tout dans le corps de Memnarch et ainsi provoquer son ascension.
Aidés par Slobad, Glissa et Raksha avaient affronté le gardien. Le combat les avaient menés sur la plate-forme surplombant le noyau énergétique de Mirrodin, en train d’accumuler l’énergie générée par l’alignement des soleils. Tentant le tout pour le tout, Glissa avait rassemblé toute la puissance magique dont elle était capable, puis l’avait libérée en un sort destructeur en se jetant sur Memnarch. Ils étaient tombés ensemble vers la boule d’énergie crépitante, qui les avait engloutis. Malgré ce sacrifice, l’alignement des soleils avait déclenché le terrible processus pour lequel la machine avait été conçue. Les âmes avaient été aspirées par le noyau, et tous les êtres vivants de Mirrodin avaient péri en une seconde.
Une fois Memnarch anéanti, l’image mentale qu’il entretenait avait disparu et Karn avait enfin pu revenir sur Mirrodin, mais il était trop tard. Seul Slobad avait survécu : il avait été le destinataire final et involontaire de l’étincelle, qui avait fait de lui un arpenteur. Karn lui avait proposé de devenir son mentor, mais le gobelin au grand cœur avait refusé. Ayant également reçu en lui toutes les âmes piégées, il avait préféré sacrifier en une fois l’immense pouvoir que lui conférait son étincelle pour les libérer, et les habitants de Mirrodin avaient ainsi été ressuscités sur le plan d’où leurs ancêtres avaient jadis été arrachés par Memnarch.
Karn n’avait pas pu sauver Feryl lors de notre chute de la tour, comme il l’avait fait pour moi, mais mon ami elfe était revenu à la vie en même temps que tous les autres êtres de Mirrodin, et vivait désormais en paix parmi les siens. Je fus heureux de le savoir en vie mais regrettai de ne pouvoir le saluer. Karn effleura alors la sphère d’argent en m’annonçant que je pourrai désormais contacter mentalement Feryl grâce à elle, et je l’en remerciai vivement.
« Comme quoi, dis-je à Karn en faisant tourner la sphère d’un air pensif, créer des mondes est une chose admirable, mais mieux vaut peut-être œuvrer pour améliorer ceux qui existent déjà.
– Oui, tu as raison, ami Roldaïce, répondit Karn. J’aurais dû le savoir… Mais je crois que j’ai retenu la leçon. Rien de mieux qu’un cuisant échec pour vous enseigner l’humilité ! »
Et depuis ce jour, je sais que certains golems peuvent faire des clins d’œil.


FIN


Lexique (cliquez sur le mot choisi pour revenir au texte)
Apocalypse : Phase finale de l’invasion du monde de Dominaria par les maléfiques Phyrexians, qui furent finalement anéantis mais au prix d’innombrables morts et de destructions titanesques.
Mana : Énergie mystique nécessaire à toute magie, et captée par les sorciers à partir des terrains auxquels ils sont liés ou qui les environnent.
Lieue : Ancienne unité de mesure correspondant environ à 4 kilomètres.
Phyrexians : De maléfiques créatures métalliques venant de Phyrexia, un monde (ou “plan”) artificiel et instable. Lorsque Phyrexia fut sur le point de disparaître, ils lancèrent une invasion de grande envergure sur le plan de Dominaria.
Pied : Ancienne unité de mesure correspondant environ à trente centimètres. Dix pieds correspondent à trois mètres, deux cent pieds à soixante mètres.
Arpenteur : Stade suprême de la puissance magique, auquel n’accèdent que quelques élus du destin, possédant « l’étincelle ». Cette mystérieuse force innée n’est en général pas décelable durant la vie de son porteur. L’étincelle n’a une chance de se réveiller qu’à la mort de celui-ci, de préférence sous le coup d’un fort dégagement d’énergie magique. Au lieu de mourir, le porteur de l’étincelle devient alors un arpenteur : désormais immortel ou presque, il dispose de pouvoirs phénoménaux et peut voyager entre les différents mondes, appelés « plans ». Le cas du golem Karn est un peu particulier : il devint un arpenteur en intégrant l’étincelle de son créateur Urza à la mort de celui-ci.
Multivers : Terme par lequel on désigne l’immensité contenant l'ensemble des plans.

Texte © P.O. Barome

Illustrations © Wizards of the Coast

Cette nouvelle est inspirée des cartes Magic: the Gathering™ du bloc Mirrodin™ et des romans officiels
Magic: the Gathering™ du cycle Mirrodin, par Will McDermott, Jess Lebow et Cory J. Herndon.

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